Massifs et désertés, les sites industriels occupent de vastes surfaces, dénaturant le paysage urbain et rural : mines, usines, docks, brasseries, manufactures… Alors comment transformer ces mastodontes de briques et d’acier ? Céder aux sirènes de la modernité et faire table rase de leur histoire ? La destruction des Halles de Baltard à Paris en 1971 en est un sinistre exemple ! Ou engager une reconversion rentable, vectrice d’attractivité et de nouveaux flux touristiques comme la Ruhr allemande ?  

Piste cyclable Rurh
© Ruhr Tourismus GmbH / Ruhrgepixel

L’occasion pour les acteurs du tourisme institutionnel de se pencher sur cette nouvelle forme de tourisme industriel. Et surtout de s’intéresser aux projets qui ont su transformer ces lieux aux infrastructures imposantes en attraction touristique.  

Pour quelles raisons le tourisme institutionnel doit-il s’intéresser aux friches et aux sites industriels ?

L’aménagement du territoire est un vaste débat qui déchaîne les passions. Qui plus est lorsqu’il s’agit de sites industriels à l’abandon intimement liés à une région et à sa population ! Au-delà de leurs enjeux patrimoniaux, ces friches représentent un levier touristique sous-estimé. Surtout dans des zones sinistrées à la recherche de nouveaux modèles de développement économique.

Le tourisme industriel : la sauvegarde d’une histoire et d’un patrimoine

Bien sûr, le tourisme industriel historique participe à la valorisation d’un patrimoine social et architectural. Une sauvegarde encouragée par un héritage culturel et un devoir de mémoire collectif.

Mais porter un autre regard sur une région, ternie par la sombre image d’un passé industriel, entraîne de multiples bénéfices. L’inscription du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais au Patrimoine Mondial de l’Unesco en 2012 a changé la donne. La région a pris une nouvelle dimension médiatique et culturelle, accentuée par l’installation du Musée du Louvre-Lens et le dynamisme de la métropole Lilloise. Cette reconnaissance a aussi permis à la population de soutenir son identité et de lui rendre sa fierté.

Bassin minier Nord Pas de Calais_website
Le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, classé Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’Unesco

Les visites des entreprises et des sites industriels en activité font le plein

Le tourisme industriel, boosté par le « Made In France » ne s’est jamais aussi bien porté. 13 millions de personnes par an (*) partent à la rencontre des entreprises françaises : distilleries, manufactures, biscuiteries, caves, cristalleries… Dans le palmarès des lieux les plus visités, on retrouve EDF. L’entreprise concentre à elle seule 122 sites dont des centrales thermiques, hydrauliques et nucléaires.

De nombreux offices du tourisme suivent la tendance de ce tourisme d’apprentissage ! Ils organisent des semaines de l’entreprise avec des visites guidées. À Laval, « Industrielle Attitude » invite chaque année les habitants à la découverte des coulisses du savoir-faire mayennais.

Laval Tourisme_Industrielle Attitude

Des touristes à la recherche d’expériences et de lieux atypiques

C’est une évidence, le tourisme alternatif bat son plein. Les hébergements insolites, les itinéraires hors des sentiers battus, les expériences atypiques ont la côte. Et encore plus si ces lieux sont instagrammables ! Passer une nuit dans une prison désaffectée (Alcatraz Hotel en Allemagne), dîner dans une ancienne usine (Lu à Nantes), ou effectuer une visite guidée autour du patrimoine industriel (Montreuil, Canal de l’Ourcq…) répondent à cette envie de voyager autrement.  

Explore Paris_Patrimoine industriel de Montreuil

Quelles sont les formes de reconversion touristique des sites industriels ?

La reconversion des sites industriels peut prendre des formes très diverses. Au cœur des villes, les bâtiments sont souvent réhabilités en immeubles d’habitations ou de bureaux avec commerces. D’autres orientations, dans un esprit de sauvegarde, conduisent à la muséification. Ou bien vers d’autres métamorphoses plus inattendues. Musées, salles de spectacles, palais des congrès, cité des sciences, les idées de transformation rivalisent d’innovation et de dynamisme.

La muséification : une évolution naturelle

La muséification d’une usine correspond à la transformation la plus évidente. Elle présente, en plus, l’avantage d’éviter les travaux lourds de démolition ou de dépollution.

Rien de plus naturel, par exemple, que d’installer le musée du textile de Cholet dans l’ancienne usine de blanchiment des toiles.

Cholet_Musée du textile

De même, faire de Lewarde (59) le plus grand musée de la Mine en France était tout indiqué. 150 000 visiteurs par an plongent dans les entrailles de la terre pour tout savoir de l’extraction du charbon et de la vie des mineurs.

Musée de la Mine_Lewarde

Loisirs et culture : une mutation dans l’air du temps

Plus surprenant : l’utilisation d’un site industriel comme écrin d’un lieu culturel. Parmi les transformations les plus appréciées, le musée d’Orsay fait figure de chef-d’œuvre. L’architecture de cette gare (construite en 1900) et de sa verrière ne peut que sublimer les collections présentées.

Musée d'Orsay website

La Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette occupe d’anciens abattoirs du nord-est parisien. Un pari osé qui a permis, en 1986, de transformer en profondeur le quartier et d’y attirer un nouveau public.

Dans la même veine, la Halle Tony Garnier, ancienne halle aux bestiaux, est devenue une salle de concert lyonnaise de 17 000 places. Le quartier a depuis développé transports et équipements pour augmenter son attractivité.   

Des carrières, dont l’extraction s’est achevée à la fin du 19ème siècle, sont désormais devenues le théâtre de spectacles culturels.

Théâtre des Carrières des Taillades website

À Montréal, l’escalade a trouvé un nouveau terrain de jeu !  Deux silos d’une sucrerie abandonnée ont ainsi trouvé un second souffle.

Montréal Reconversion sucrerie
Montréal – Reconversion d’une sucrerie (Crédit photo : Stephane Brugger)

Le tournant à 360 degrés : un pari sur l’avenir

  • Hôtellerie et restauration dans d’anciens sites industriels

Les hébergements (hôtels, locations, auberges de jeunesse) investissent aussi dans des bâtiments à l’identité forte. Loin des standards des chaînes hôtelières et du tourisme de masse, ils se démarquent par leur singularité. Leur design industriel correspond à l’univers des lofts newyorkais ou des docks londoniens. De quoi garantir un excellent taux de remplissage, notamment grâce aux millenials !

L’ancienne usine de la Générale des Eaux d’Arcachon (1884), par exemple, abrite un hôtel de charme. À Rouen, l’auberge de jeunesse a pris place dans l’ancienne teinturerie de la ville. La manufacture des tabacs de Strasbourg aussi prend le chemin d’un hébergement « new generation ».

En restauration aussi, la reconversion a du goût ! Les touristes et les habitants se pressent dans ces lieux branchés qui offrent des expériences à la fois culturelles et gustatives.

Les murs de l’ancienne biscuiterie Lu à Nantes accueillent un restaurant. Tandis qu’un vieux hangar de la gare parisienne d’Austerlitz s’est transformé en food court de 4 500m2, wagons compris.

Restaurant Gare d'Austerlitz
  • Un site hospitalier à la place de l’usine AZF de Toulouse

Sur les 220 hectares de l’ancienne usine d’AZF se construit le projet d’Oncopôle toulousain. Les conférences et congrès vont nécessairement entraîner de nouveaux flux de chercheurs, de patients et des professionnels de santé. Une ouverture inattendue sur un tourisme d’affaires mais aussi sur un tourisme médical.  

Des sites industriels transformés en attractions touristiques autonomes

Le renouvellement urbain de Nantes : un modèle européen

La ville de Nantes a su saisir l’opportunité que représentait son passé industriel. La notoriété des projets de réhabilitation dépassent largement les limites du Quartier de la Création. C’est ici que la friche industrielle nantaise s’est métamorphosée en pôle culturel urbain. Halles Alstom, chantiers navals et Blockhaus renaissent de leurs ruines…

  • Les Machines de l’Île

Outre la restauration de l’usine désaffectée Lefebvre Utile (LU), les chantiers navals aussi furent promis à un bel avenir. Les cales ont pris de la hauteur pour devenir hangars. Cap sur les loisirs et la culture : spectacles vivants, expositions, théâtres, concerts…

L’attraction phare se situe sous gigantesque cathédrale d’acier : le bestiaire « steampunk » des Machines. 308 000 visiteurs en 2017 dont 93 000 ont voyagé à bord du célèbre éléphant mécanique géant. Le nouveau symbole de la ville !

Machines de l'Île_website

La Rurh

La région allemande des hauts-fourneaux arbore désormais le visage d’une région verte et culturelle. Œuvres d’art sur les terrils, pistes cyclables, parcs à thème, musées, hôtels et restaurants…

Piste cyclable Rurh
© Ruhr Tourismus GmbH / Ruhrgepixel

Autant d’infrastructures qui ont fait de cette zone la capitale européenne de la culture en 2010. Que dire du complexe industriel de Zollverein dont les cheminées côtoient désormais patinoire, grande roue, piscine, musée du design et musée de la Rurh ? Et le cocktail d’activités de l’ex-cockerie fonctionne avec 1.5 millions de visiteurs chaque année !

Zollverein patrimoine industriel allemand
© Stiftung Zollverein

La bouffée d’oxygène donnée à cet environnement industriel impressionne par son avant-gardisme et son audace. À noter que de nombreux sites de la Rurh correspondent à des points d’ancrage de l’ERIH (route européenne du patrimoine industriel).

Tous ces exemples laissent entrevoir l’attrait grandissant du public pour des sites délaissés. C’est pourquoi, les répertorier et les faire connaître est l’un des enjeux majeurs des acteurs du tourisme institutionnel. Comment ? Avec la création d’itinéraires comme une « route de la sidérurgie », l’intégration d’une catégorie « lieux insolites », l’organisation d’événements comme « une nuit à l’usine », « la fête du fer », etc.

Route touristique des Arts du Feu_website
La route du touristique des Arts et du Feu regroupe plusieurs centres d’intérêt autour d’un thème commun : Musée de la Faïence, Musée Les Mineurs, Jardin des Faïenciers, Parc archéologique européen

(*) Source : Observatoire de l’Association de la Visite d’Entreprise (AVE)
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